Immigration et développement :

Publié le par Jeana

Des relations diffuses, distendues et encombrées de préjugés
Les questions d’immigration et de développement ont en commun de faire l’objet de nombreux préjugés, de malentendus et de non-dits. Non seulement ces questions sont complexes, mais elles sont aussi de plus en plus souvent mises en parallèle et ce, de manière assez simpliste la plupart du temps. Pour endiguer l’immigration, il « suffit » de promouvoir le développement des pays pauvres. A première vue, il s’agit d’une logique implacable. Pourtant, si cette relation est envisagée un peu plus en profondeur, cette simple équation n’épuise pas la diversité des facteurs à prendre en compte.

Publié dans Politique

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J
SUITEDeuxième remarque, le développement est un concept multidimensionnel que n’épuise pas la simple différence de richesses. Il concerne également la sécurité humaine ou les politiques commerciales des pays riches. A ce titre, l’émergence de la doctrine de la « responsabilité de protéger » (R2P) au sein des organisations internationales, qui va plus loin que la protection de la simple stabilité entre Etats, est un signe d’une prise de conscience de cet aspect [4]. Ce concept est articulé autour de deux points fondamentaux : la souveraineté étatique implique aussi de protéger les citoyens qui y vivent et si l’Etat échoue pour une quelconque raison (guerre civile, soulèvement…), la communauté internationale a la responsabilité de protéger ces populations.Ainsi, pour des raisons politiques, la relation entre immigration et développement est encombrée de clichés qui aboutissent à un résultat inefficace et qui témoignent surtout de relations asymétriques entre pays européens et pays en vois de développement, encore perçus comme des mauvais élèves. Pourtant, si le développement dans sa version extensive est pris comme la pierre de touche pour faire des migrations une relation gagnant gagnant, force est de constater que ces politiques seraient plus efficaces si elles étaient traitées par l’Union Européenne. Cette dernière est en effet plus prompte a traiter les pays les moins avancés de manière neutre même si la structure institutionnelle de la commission écarte les pays africains du champ des relations extérieures en les rattachant a la DG développement et ce faisant, elle véhicule elle-même les clichés contre lesquels elle entend lutter ». Ainsi, même si la vision de l’UE est plus conforme a une conception positive de l’immigration et du développement, de nombreux problèmes persistent.Immigration et développement au niveau européen : un changement de paradigme ?L intérêt de l’Union Européenne est entre autre de relayer une nouvelle idée selon laquelle les migrations peuvent être potentiellement positives. Puisqu’elles constituent un état de fait destiné à perdurer, il est en effet plus raisonnable de fonder des pistes de réflexions pour qu’elles soient positives pour tous. Les vues de l’UE ont été consignées dans un document intitulé ’The Global Approach to Migration : Priority actions focusing on Africa and the Mediterranean’ adopté par le conseil en décembre 2005. Ce rapport est intéressant à plusieurs titres. Il reconnaît la nécessité de développer des partenariats avec les pays tiers en prenant en compte de nombreux facteurs tels que le commerce, le développement ou encore la sécurité dans la compréhension des phénomènes migratoires. De plus, il réaffirme que la situation actuelle n’est en rien différente d’auparavant puisque les migrations sont une constante historique et que l’Europe a besoin de ces dernières. En 2006, la Commission a suggéré d’étendre la réflexion à la résolution des problèmes lies à l’immigration légale au niveau communautaire et aux politiques d’intégration. Ces objectifs ont été réaffirmés lors de la Conférence euro-africaine "Migration et développement" organisée à Rabat en juillet 2006.Le fait est que la Commission adopte en général une position moins idéologique dans la mesure où les questions d’immigration ne sont pas utilisées à des fins électorales, n’ayant ainsi pas besoin d’occulter le fait que c’est surtout les politiques d’intégration qui ont échoué. Pourtant, les questions relatives à l’immigration légale font l’objet d’un vote à l’unanimité au sein du conseil rendant l’adoption de politiques innovantes peu probables étant donnée la sensibilité du sujet. C’est de là que provient le problème principal et c’est la raison pour laquelle la commission a souhaité que ces problématiques fassent l’objet de décisions a la majorité qualifie et que soit utilisée la procédure de codécision. Le traité modificatif pourrait changer la donne dans ce domaine. La procédure de co-décision s’appliquera à présent dans le domaine de l’immigration légale et la possibilité de vote à la majorité qualifiée sera étendue. Par contre, dans le secteur du développement la Commission intervient à un degré supérieur à travers plusieurs dispositifs distincts dont les deux principaux sont le commerce et le développement. Concernant l’aide au développement, l’économiste Philippe Hugon distingue quelques avantages de sa gestion au niveau communautaire : « économies d’échelle, réduction des coûts de transaction et des gaspillages, augmentation des capacités de négociation, notamment vis-à-vis des institutions de Bretton Woods – (sont autant d’aspects qui) plaident en faveur d’une subsidiarité qui donneraient la primauté à l’Union Européenne ».Le second aspect est sans doute le plus controversé : il s’agit de la négociation en cours des Accords de Partenariats Economiques qui doivent remplacer les accords de Cotonou adoptés en 2000. Ces accords répondent en réalité aux exigences de l’OMC dans la poursuite de libéralisation des échanges au niveau mondial. Selon ces derniers, l’UE devrait ouvrir complètement ses marchés aux pays ACP mis à part en ce qui concerne quelques produits sensibles comme le sucre ou le coton. Les pays ACP devraient quant à eux ouvrir leurs marchés aux produits, aux services et aux investissements européens selon un calendrier plus ou moins long selon que les pays sont classifiés comme « Pays moins avancés » (PMA) ou pas. Peter Mandelson, commissaire européen au commerce extérieur, tout comme Louis Michel, commissaire européen au développement s’accordent sur ce point pour dire que les nouveaux accords seront favorables aux pays ACP. Pour autant, cette réforme tout comme le calendrier serré adopté par la Commission, sont loin de faire consensus. De nombreux dirigeants des pays ACP estiment que cette libéralisation les obligerait à se passer des droits de douane les rendant ainsi plus tributaires de l’aide au développement et plus exposés à la concurrence des pays européens et asiatiques dont les produits sont subventionnés ou moins coûteux a produire. Les critiques émanent également du continent européen par l’intermédiaire de nombreux députés ainsi que certains gouvernements. L’ancien Ministre du Commerce britannique, Ian Mac Cartney, estimait ainsi que « The EU must… allow ACP countries as much time as they reasonably need to open their own markets »("L’UE doit donner aux pays ACP le temps dont ils ont raisonablement besoin pour ouvrir leurs marchés"). De nombreux députes europeens sont egalement sceptiques sur l’opportunité de cette reforme pour les pays ACP. Face aux critiques, Mandelson a tout de même assoupli sa position relevant que l’UE devrait faire plus pour trouver un accord et ne pas démanteler le régime de préférence qui avait cours dans les accords de Cotonou. Il serait ainsi opportun d’impliquer davantage les députés au Parlement Européen dans ces questions.Les problèmes de l’Union Européenne pour mettre en place ce changement de paradigmeSi le problème au niveau national est celui de la démagogie, l’équation à résoudre au niveau communautaire est différente mais pas moins problématique. Elle concerne le manque de cohérence entre les différents services (directions générales) de la Commission européenne et la question du vote à l’unanimité en ce qui concerne les questions d’immigration. Placer la question du développement dans sa version extensive au centre des préoccupations se heurte ainsi à des obstacles non négligeables.La première difficulté tient à l’organisation de la Commission Européenne en différentes directions générales dont l’autonomie propre est relativement importante. Le manque de coordination entre directions générales empêche de développer une vision complète de sujet tel que le développement. Le Parlement lui rencontre moins de problème de coordination, mais force est de constater que ses pouvoirs sont limités dans ce domaine. A ce titre, le passage à la codécision pour les questions migratoires serait une avancée importante tant du point de vue de l’efficacité que de l’exigence démocratique. Le second problème est celui du manque de capacités propres de l’Union Européenne. Si la conception du développement de l’UE intègre la responsabilité de protéger des populations affectées par la guerre civile, l’Union reste tributaire de la volonté des acteurs nationaux à agir. Ainsi, la première intervention de l’UE en République Démocratique du Congo en 2003 (Artémis) et en 2006 (Eufor) réclamée par Kofi Annan en vertu de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) a en réalité été conduite et dirigée principalement par la France. Enfin, l’Union Européenne n’est pas exempte de tout reproche concernant la nécessité de faire appel à des diplômés issus des pays les moins avancés, pratiquant ainsi une politique de fuite des cerveaux comme le font des pays tels que le Canada et les Etats-Unis. Ainsi, le projet de mettre en place une ‘blue card’ sur le modèle de la ‘green card’ américaine pour faciliter la circulation des migrants dans l’Union Européenne suscite la méfiance de nombreux spécialistes et plus particulièrement en ce qui concerne le départ de nombreux médecins africains vers l’Europe.De deux choses l’une, soit l’immigration est conçue en termes nationaux au détriment de son efficacité, soit elle est gérée à un niveau supranational pour plus de cohérence mais alors au détriment de l’image de l’Union, déjà affectée par le syndrome du coupable idéal. Les questions d’immigration et de développement sont des problématiques qui doivent être pensées sur le long terme. Organisons le tâtonnement plutôt que des politiques radicales. L’immigration doit être pensée de manière tempérée et il faut rester conscient que le développement ne se fera pas un jour. Même si certains pays adoptent des positions qui prennent en comptent la complexité du phénomène , son ampleur impose que ces questions soient traitées au niveau européen, nécessitant ainsi des adaptations exigeantes du système institutionnel de l’UE.Clément Boutillier
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J
Tout d’abord, de quelle immigration parle-t-on. Il y a l’immigration illégale, l’immigration légale, le regroupement familial, les demandeurs d’asile… Le plus souvent cependant, elle est présentée comme l’envahissement de pauvres mettant en danger l’identité nationale des pays européens. Cette vision, développée pour des raisons électoralistes, ne s’embarrasse pas de la distinction entre réfugiés politiques et immigrés économiques par exemple. Dans ce contexte, l’immigration est reliée à une définition tout aussi peu pertinente du développement. Dans cette acception, l’immigration vers l’Europe s’explique seulement par le différentiel de revenu, donner de l’argent permettrait de pouvoir rééquilibrer la balance. L’équation est néanmoins plus complexe que cela.<br /> Immigration et développement : repenser les termes du débat<br /> Dans cette mesure, les relations entre l’Europe et l’Afrique constituent l’exemple le plus significatif pour mettre en relief les conséquences d’une compréhension des choses aussi simplifiée. Comme l’indique le schéma ci-dessus la disparité des richesses entre l’Europe et l’Afrique sub-saharienne est flagrante.<br /> D’autres facteurs entrent pourtant en jeux et ils ont une importance non négligeable. Du point de vue de nombreux citoyens africains, le départ vers l’Europe est en effet l’illustration d’une recherche de stabilité. C’est surtout le cas pour ceux qui sont affectés par la violence quotidienne des guerres civiles dont souffrent certains pays africains. Ces situations alimentent des flux de migrations forcés. Présenter l’immigration comme un simple problème économique revient à assimiler les demandeurs d’asile aux migrants économiques et ainsi à les stigmatiser. De ce fait, la remarque d’Hannah Arendt selon laquelle, les Etats ne savent pas comment gérer le problème des sans états, c’est-à-dire des réfugiés, autrement que par l’intermédiaire de la police, se trouve vérifiée dans de nombreux pays européens. Il y a aussi une dimension historique : celle de l’eldorado européen. A ce titre, les députés français ne sont pas les seuls à penser que la colonisation a eu de bons côtés. Cette histoire commune entre Europe et Afrique fait qu’une partie des habitants des anciennes colonies ont une vision souvent idéalisée des pays occidentaux. Ces relations concernent enfin un contexte particulier : la globalisation. Non seulement le monde est peuplé de riches et de pauvres mais ceux-ci sont connectés par de nombreux réseaux transnationaux physiques ou virtuels, légaux ou illégaux. De ce fait, il serait temps d’admettre que la pression migratoire que tente de juguler l’agence responsable de contrôler les frontières extérieures de l’UE (Frontex), notamment sur les côtes européennes, est un phénomène qui risque de durer. Le président de l’Union Africaine, Alpha Oumar Konare, l’avait d’ailleurs souligné de maniere explicite a Mr Barroso en 2005, expliquant que les murs et les prisons n’empecheraient pas l’immigration illegale en Europe. D’où l’émergence de cette idée de plus en plus pressante que l’immigration illégale est directement liée au manque de développement. Pourtant, ce dernier est également souvent simplifié de manière excessive. C’est particulièrement le cas lorsque développement et immigration sont des concepts associés au niveau national.<br /> Immigration et développement au niveau national ou l’art de promouvoir les relations perdant-perdant<br /> Le cas de la France est révélateur des problèmes engendrés par une définition partielle de l’immigration. Le thème de l’immigration zéro, lancé par Charles Pasqua et visant à faire de l’arrêt de l’immigration une solution à des problèmes dont les causes sont beaucoup plus complexes ou encore les résultats assez importants de l’extrême droite en France (et ailleurs), n’ont pas aidé à présenter l’immigration comme une source d’opportunités. Ainsi, lorsqu’il est question des problématiques migratoires, il est rare de ne pas être confronté aux simplifications mises en avant par des responsables politiques fiers de se poser en garant de l’identité nationale que menaceraient ces populations venues d’ailleurs.<br /> L’inflation dans les dispositifs sécuritaires pour matérialiser ces idées politiques posent néanmoins de nombreux problèmes. Ils n’ont pas de fins autres que politiques puisqu’ils sont largement inefficaces et peuvent même avoir des effets négatifs non négligeables. C’est le cas « des élites économiques victimes inattendues du projet de loi sur l’immigration », titre d’un article de Frédéric Lemaître et Laetitia Van Eeckhout publié dans le Monde du 2 Octobre 2007 et qui expliquait pourquoi le raidissement des flux migratoires pourrait constituer une atteinte au dynamisme économique français. D’autre part, le renforcement des contrôles aux frontières peut également aboutir a l’enrichissement de réseaux criminels transnationaux qui organisent l’immigration illégale en direction de l’Europe. Le nouveau gouvernement français qui semble déterminer à remplir des objectifs chiffrés de reconductions à la frontière et à contrôler le regroupement familial par des tests ADN s’inscrit dans cette tradition de l’immigration présentée comme un problème fondamental.<br /> La quasi indifférence des hommes et femmes politiques proches de l’actuel gouvernement lors de l’ouverture du musée national de l’immigration (et de ses aspects positifs) est un signe supplémentaire de cette tendance à considérer l’immigration comme un phénomène dangereux. Puisque la limitation de l’immigration au niveau national dans le cas français est placée en tête des priorités, le développement devient alors un moyen pour remplir cet objectif et non pas une fin en soi. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le nouveau ministère français de l’immigration et de l’identité nationale est aussi celui du codéveloppement. La définition qu’en donne Jean François Bayart résume cette idée qu’il désigne comme « la compensation cafarde que l’on concède à un domestique devenu importun pour qu’il s’éloigne sans bruit » [1]. Au niveau national cette relation entre codéveloppement et immigration est effectivement dangereuse d’autant plus que le co-développement est contredit dans les faits par les politiques de soutien agricole, par l’immigration choisie ayant pour conséquence un ’brain drain’ et par des intérêts nationaux qui font de la France un gendarme dont les interventions en Afrique ne servent pas systématiquement a protéger les citoyens africains. De même, elle laisse entendre que tout Africain est candidat à l’exil, par la surabondance du vocable de l’invasion, renforçant ainsi les clichés sur l’Afrique elle-même. Le biais de cette relation au niveau national peut être illustrée par deux points importants.<br /> <br /> Tout d’abord, les relations entre l’Europe et l’Afrique sont souvent empêchées par la défense d’intérêts particuliers, souvent ceux des anciennes métropoles. La menace de boycott qui pèse sur la tenue du second sommet Europe-Afrique à Lisbonne en décembre prochain en constitue le dernier exemple en date. Gordon Brown, nouveau premier ministre britannique, a en effet indiqué que si le Président Zimbabwéen Robert Mugabe y était invité, il ne s’y rendrait pas. La majorité des présidents africains et le président de l’Union Africaine estiment que toute mesure visant à exclure Mugabe du sommet serait lourde de conséquences pour la tenue du sommet dénonçant la politique "deux poids deux mesures" exercée par la Grande Bretagne. Ce sommet est cependant, de l’avis de tous, indispensable dans le renforcement de la relation Europe-Afrique puisque le concept d’Eurafrique cher au Président Sarkozy, concept sur lequel travaille la Commission depuis bien plus longtemps en réalité, pourrait y être adoptée comme feuille de route.<br /> Ensuite, l’immigration peut être positive pour l’Europe mais également pour le développement. Or la relation exclusive entre codéveloppement et immigration occulte cette réalité déterminante. Dans le cas Français, comme le souligne Oliver Bakewell [2] , le développement est conçu, au moins implicitement, comme un moyen de renvoyer les migrants chez eux. Cette vision s’appuie sur une définition du développement fondamentalement statique et centrée sur l’aide matérialisée par la multiplication de projets sur le sol Africain. En fait, cette forme dépassée est une simple réactualisation de la mise en valeur coloniale et nécessite au moins d’être complétée par d’autres dispositifs. Premièrement, le développement est un processus dynamique. C’est un fait, la vieille Europe aura besoin de faire appel à de nombreux migrants pour maintenir son équilibre démographique (voire le rapport de l’ONU sur les migrations internationales et le développement publié en 2006) et pour animer son économie de la connaissance décrite dans la stratégie de Lisbonne. Vue du sud, l’immigration est également un facteur de développement. Par exemple, on estime qu’entre 5% et 10% du PIB Sénégalais provient de transferts monétaires effectués par la diaspora [3] . Ainsi, il s’agit d’une importante erreur d’interprétation de voir dans la seule aide officielle au développement le moyen de contrer l’immigration. Il n’est d’ailleurs même pas certain que le développement soit un frein à l’immigration, en témoigne le nombre de Français vivant a l’étranger qui n’a jamais été aussi élevé.<br /> <br /> Contribution des transferts de fonds privés au PIB en Afrique<br /> (Source : Banque mondiale)<br /> <br /> <br />
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